QUI A TAGUÉ
'JÉSUS SAUVE'?
En novembre 2018 un mystérieux tag envahit les rues de Paris. Un message écrit en lettres capitales et qui proclame : 'Jésus Sauve ! '. Le tagueur est trouvé, interviewé.
« Quand je t’écoute j’hallucine et je me dis que tu es un illuminé... » (le journaliste)
« Tu m’aurais dit il y a 6 ans qu’il existe une force surnaturelle, un Dieu qui guérit et fait des miracles, j’aurais eu la même réaction que toi en disant que ces gens sont perchés. Mais je me contente juste de témoigner de ce que j’ai vu.» (le graffeur)
Tags en français 'Jésus Sauve'
Tags en anglais 'Jesus Saves'
On a rencontré le mystérieux graffeur 'Jésus Sauve'
« Entre ce que les gens disent et la réalité, il y a un fossé. Il y a bien sûr d’autres disciples de Jésus, mais ce n’est pas pour autant que j’ai arrêté », m’explique en préambule "Jésus Sauve" Tout et son contraire a été dit à son sujet : un néophyte selon certains, un "vieux de la vieille" selon d’autres. Il paraît même qu’il aurait arrêté de poser des "Jésus Sauve" dans l’attente de son procès. Pourtant, les messages ne cessent de fleurir sur les boîtes aux lettres, les palissades de chantiers et les murs de Paris.
Qui se cache donc derrière les graffitis "Jésus Sauve" qui habillent Paris et sa banlieue ? Son auteur est l’égal d’un Pokémon Go que tout le monde traque, aussi bien les médias que vos potes, voire même les cathos. Tous cherchent à savoir qui diffuse cette bonne parole. Mais ne vous attendez pas à voir un graffeur vêtu d’habits liturgiques. « Jésus Sauve » est un Francilien trentenaire au style casual qui est en mission. Avant d’être pris en flag par un admirateur ou un flic, profane ou religieux, "Jésus Sauve" a accepté de nous rencontrer pour expliquer qui il est, et l'origine de sa signature mystique.
VICE : Quelle place a la religion dans ta famille ?
Jésus Sauve : Dans l’ensemble, ma famille ne connaît pas Dieu, même si certains sont catholiques. Je pense notamment à ma grand-mère qui est très croyante. Elle m’a toujours parlé de l’amour de Dieu. Je me souviens qu’elle disait souvent que Dieu a de la miséricorde pour les criminels et les psychopathes, qu’il peut les aider à se racheter. Elle priait d’ailleurs souvent pour eux. Cet amour m’a toujours touché car je n’ai vu ça nulle par ailleurs que chez les chrétiens. De mon côté, je ne croyais pas en Dieu, je n’avais aucune religion. J’étais d’ailleurs limite blasphémateur.
Comment as-tu été amené à t’y intéresser sérieusement ?
Un pote m'a parlé de Jésus, il m'a dit qu’il priait, que la religion avait changé sa vie. Au début, je ne comprenais pas parce que je n'étais pas du tout croyant. Et puis j'ai commencé à m’intéresser à ce personnage qui dit « Aimez-vous les uns des autres » et ça m'a touché au plus profond de moi. J'ai commencé à faire des recherches, à lire des livres qui m'ont rappelé les racines judéo-chrétiennes de la France, qu’on a tendance à oublier. Lors de mes lectures, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de gens qui témoignent avoir reçu des grâces lorsqu’ils se sont tournés vers Jésus. Je me suis dit qu’il était peut-être vivant avec une certitude : je voulais le rencontrer. J'ai poursuivi mes recherches et mon apprentissage de la chrétienté et j'ai fini par le rencontrer.
« Il faut parler de Jésus, qui peut réconforter et agir comme il le fait pour des millions de gens à travers le monde. C’est la mission des chrétiens et donc la mienne »
Quelles formes a pris cette rencontre ?
Il m’a parlé plusieurs fois, même lorsque je suis avec mes frères nous savons qu’il est là, qu’il nous parle.
Quand je t’écoute j’hallucine et je me dis que tu es un illuminé...
Je comprends tout à fait, mais de rapides recherches sur le web et les réseaux sociaux te montreront qu’il y a beaucoup de gens comme moi qui témoignent. Tu m’aurais dit il y a 6 ans qu’il existe une force surnaturelle, un Dieu qui guérit et fait des miracles, j’aurais eu la même réaction que toi en disant que ces gens sont perchés. Mais je me contente juste de témoigner de ce que j’ai vu. D’ailleurs, je suis davantage un témoin qu’un croyant. Pas un témoin de Jéhovah, mais un témoin de Jésus.
Et c’est à ce moment-là que tu te convertis ?
Non, avant la conversion, il y a la repentance. Je me repens pour tous les graffs que j’ai pu faire, souvent des graffs insultants envers la police ou d’autres personnes. J’avais beaucoup de colère, de haine et de blessures dans mon cœur. J’étais rempli de violence. Je suis donc allé demander pardon à Dieu et prier pour tout ce que j’avais fait auparavant. J’ai ensuite eu une révélation après avoir parlé avec des chrétiens qui m’ont instruit et expliqué que « Dieu m’avait déjà pardonné parce que je lui avais demandé pardon ». Mais c’est à partir du moment où j’ai senti Jésus agir en moi que j’ai considéré être pardonné. Je me suis senti apaisé, j’ai appris à aimer et à pardonner, avec moins de violence et de colère en moi.
Le magazine La Vie a indiqué que tu fréquentes une église évangélique parisienne « prêchant la théologie de la prospérité ». Qu’en est-il ?
Je ne me reconnais dans aucune frange du christianisme. L’apôtre saint Paul a dit « pas de division entre vous », les divisions sont l’œuvre du diable [Première épitre de Paul aux Corinthiens, chapitre 1, verset 10 à 13, NDLR]. Je suis juste un disciple de Jésus-Christ. Le Seigneur est le seul maître, il ne veut pas de division, mais que les croyants soient unis les uns aux autres, qu’ils puissent agir dans le monde, être des lumières qui brillent dans le ciel. Je me suis donc naturellement tourné vers des églises où il y a la présence du Saint-Esprit et où des faits surnaturels ont lieu. J’ai trouvé tout ça dans des églises où les gens sont fidèles à l’évangile. Suis-je évangéliste pour autant ? Si l’évangile est la diffusion de la parole de Dieu, alors oui, je le suis.
« Le Saint-Esprit m’a dit que le tag était la meilleure façon de parler au plus grand nombre, qu’il parlerait pour moi même en mon absence. »
Que reste-t-il du graff alors que ta vie et tes priorités changent ?
Avant je sortais souvent pour peindre, je me suis d'ailleurs retrouvé en garde à vue à de nombreuses reprises. Aujourd’hui, ça n’a plus rien à voir, je ne sors quasiment plus. Mais je sens un manque, je suis en combat contre moi-même. Je suis tenté de retomber dedans, tellement le graff m’a donné du plaisir quand j’étais gamin.
Du coup, tu as décidé de concilier tes deux amours : la religion et le graff ?
En février 2018, je suis resté bloqué chez moi. Et lorsque je suis ressorti, j’avais à cœur de servir Dieu. Mais comment ? Je me suis dis que j’avais un talent de graffeur, donc je suis sorti dans les rues de Paris et j’ai commencé à peindre « Aimez-vous les uns des autres ». C’était pour moi le bon message parce que je voyais beaucoup de haine et de colère autour de moi et il servait Dieu. Le message est plutôt bien passé, même auprès des flics. Lorsqu’ils m’ont arrêté, ils ont été surpris et touchés, ils m’ont dit que mon message était un super conseil de vie. Ils ne m’ont pas dit d’arrêter, mais plutôt de peindre sur le sol, qu’il n’y aurait pas de plainte. Ils étaient vraiment bienveillants.
À ce moment-là tu ne penses même pas à "Jésus Sauve" ?
Non, pas du tout. "Jésus Sauve" naît en novembre 2018. J’ai un pote qui me parle d’un graffeur new-yorkais qui écrit « Jesus Saves » sur les murs. Il me montre un reportage sur lui et là je prends une claque. Je sens dans mon cœur que c’est le meilleur message que je peux véhiculer. Je me rends compte que « Aimez-vous les uns des autres » est universel, humaniste, tout le monde adhère et ne voit pas forcément le Christ derrière. Or Jésus est le Dieu vivant, celui qui répond à nos prières. "Jésus Sauve" est un message qui dit clairement qu’il y a quelqu’un qui s’appelle Jésus qui peut nous sauver et nous aider. Ce message a pour vocation de mettre en lumière Dieu et non moi. Je ne suis plus dans l’égo-trip du graffeur qui recouvre les murs de son blaze. Je ne suis qu’un messager qui dit que Dieu veut avoir une relation avec vous, qu’il veut vous bénir et vous guider dans votre vie pour trouver la paix.
Aurais-tu choisi le même message si le contexte social avait été différent ?
À ça je réponds par un verset de mon Dieu : « Faites de toutes les nations des disciples » [L'évangile selon Matthieu, chapitre 28, verset 18 à 20, NDLR]. Il faut parler de Jésus, qui peut réconforter et agir comme il le fait pour des millions de gens à travers le monde. C’est la mission des chrétiens et donc la mienne. Dieu a sauvé des gens qui étaient malades ou accros au crack. Il faut juste dire aux gens qu’il y a un mec qui peut sauver les sauver, qu’il s’appelle Jésus et qu’il vit parmi ses serviteurs. J’appelle plus à une relation personnelle avec Jésus qu’à une religion.
Et le graff est donc pour toi le meilleur moyen de parler aux gens ?
Un jour j’ai senti comme un mal-être dans mon cœur face aux gens qui ne savent pas que Dieu existe. J’ai dit au Seigneur que je pouvais bien sûr parler de lui, mais que je n’avais pas le don d’ubiquité. Le Saint-Esprit m’a dit que le tag était la meilleure façon de parler au plus grand nombre, qu’il parlerait pour moi même en mon absence.
As-tu conscience que ton acte, aussi bienveillant soit-il, est répréhensible ?
Je me suis posé la question de la légalité, mais ça ne me pose aucun problème de faire ça. Quand tu lis la Bible, tu te rends compte qu’il y a beaucoup de saints qui ont fait des trucs bizarres que les autres n’approuvaient pas. Je prends l’exemple de Basile le Bienheureux. C’est un gars qui se baladait nu dans les rues de Saint-Pétersbourg. Et comme le disait saint Pierre, « Mieux vaut faire ce que Dieu demande que ce que les hommes disent » [Livre des actes des apôtres, chapitre 4, verset 19, NDLR].
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Par Louis Dabir - Publié le 23 Avril 2019